Depuis près de 30 ans, Les Places d’Or s’est imposé comme le salon de référence dans l’univers du design et du packaging de luxe. Ce rendez-vous incontournable de donne l’occasion aux fabricants et designers de présenter leur plus belle création et réalisation de l’année, faisant des Places d’Or un révélateur de tendances du marché du packaging de luxe..

Interview de Marc Lechanoine, The Estée Lauder Companies Inc.

Pour quelles raisons vous êtes-vous engagé dans la filière cosmétique après vos études à l’ENSAM ? Aviez-vous déjà connaissance de ce secteur ou pensiez-vous qu’il devrait connaitre une évolution ?

ML : A vrai dire, en première année des Arts et Métiers, je n’imaginais pas que le monde des cosmétiques avait besoin d’ingénieurs de haut niveau, tant pour la production que le supply et encore moins pour la conception. J’aimais le monde de la beauté et de la mode pour sa créativité et pour la notion de bien-être qui en découlait. J’étais loin d’imaginer que j’y consacrerai déjà presque un quart de siècle et très probablement le reste de ma carrière.

C’est à mon parrain de promotion, de 25 ans mon ainé que je dois à la fois ma vocation et une grande partie de ma réussite. C’est lui, Directeur des opérations de Dior Parfum à l’époque, qui m’a fait découvrir l’usine de Saint-Jean de Bray, alors en plein lancement de Dolce Vita, et tous les métiers & savoir faire des ingénieurs œuvrant depuis la création jusqu’au recyclage des produits cosmétiques. Ce fut un coup de foudre, une révélation immédiate et une passion qui ne s’est jamais démentie.

De vos années asiatiques pour l’Oréal en tant que Packaging & Development Innovation Asia Director puis Make up Innovation Platform Asia Director, que retenez-vous en termes de méthodes ou idéologie qui servent aujourd’hui votre façon de concevoir les packagings ?

ML : En arrivant à Tokyo, je sortais de 16 ans d’expérience très opérationnelle, au service de L’Oréal Paris International puis de Lancôme Monde en tant que responsable de tous les lancements. Bien que couvrant un scope international, mes postes étaient basés à Paris avec un centre de décision, des équipes et une culture de management ouverte à dominante française. L’Asie fut ma première expérience à l’international pour L’Oreal groupe en amont de l’innovation et multimarque mais aussi de création d’équipes pluridisciplinaires, multiculturelles et régionales, en partant d’une feuille blanche. J’ai eu la chance d’y découvrir l’incroyable richesse de l’écosystème asiatique en croissance exponentielle : l’innovation soumise à la perfection japonaise ; celle redoutablement rapide, efficace et frugale de la Corée focalisée sur les retours sur investissement les plus courts possible ; la puissance du design to cost en Inde, enfin la rapidité d’adaptation et d’expansion de la Chine. La création d’équipes dans ces quatre pays a renforcé ma conviction que la première voie vers l’intelligence augmentée (avant celle dite artificielle) est celle de l’intelligence collective, pluridisciplinaire et multiculturelle !

Ceci m’a conduit à revoir aussi mon approche pour mieux appréhender les différences et similitudes culturelles de nos consommateurs, leurs attentes explicites et les non-dits, pour éviter également les conclusions trop hâtives, en amont, passant ainsi de l’innovation produit à celle focalisée sur l’expérience consommateur, de son premier contact avec le produit/la marque à son recyclage ou sa réutilisation.

Outre la notion d’environnement durable intégrée à chaque étape de la création et de la conception, y a-t-il une expérience utilisateur différente depuis quelques années qui vous amène à repenser vos écrins ?

ML : Oui absolument. Les engagements sur la durabilité, les comportements et les attentes des consommateurs du monde de la beauté, ont évolué de façon très profonde ces dernières années avec l’explosion du business online & la digitalisation. Les influenceurs & communautés, la Covid et ses conséquences, le besoin de transparence, plus de sens, de vrai, la constante accélération du monde du luxe et de l’ultra-luxe, la diversification des profils et origines des consommateurs du luxe nous obligent à revoir profondément notre manière de designer, de concevoir et d’innover.

Les designs et conceptions se doivent d’être plus « instagrammables », iconiques, reconnaissables et personnalisables mais aussi écologiques, plus résistants voire durables à la fois, et plus globaux !

D’un point de vue sociologique, la gestuelle, les habitudes de consommation, le temps consacré à la mise en beauté ont-ils changé ? Si oui, comment le luxe s’est-il progressivement adapté à ces changements ?

ML : Oui et je pense que ça a changé a une vitesse jamais vue jusqu’à présent. Quelques exemples : Le mascara a vu son taux de pénétration passer de 20% à près de 70% en Europe en un peu plus de 15 ans alors qu’il n’a fallu que 5 ans à la Corée et 2 ans et demi à la Chine ! Quand je suis arrivé en Chine en 2013, le maquillage des lèvres était insignifiant : moins de 3 ans plus tard, c’était devenu le leader du marché du RAL, influençant tout le marché mondial avec une premiumisation des packagings devenus de véritables vitrines du luxe et de la mode.

En Europe et aux USA, on a vu s’accélérer la demande des consommateurs pour des produits plus naturels, « vrais » et safe, faisant exploser tout ce qui est active Derm et soins de luxe. La Covid a engendré un besoin de prendre soin de soi, redessinant ainsi les frontières du soin et du parfum de luxe at home par exemple.   

Vous avez parrainé la 6ème édition du concours des étudiants ESEPAC/ESP lors de la Paris Packaging Week 2022 Le thème portant précisément sur les projets disruptifs impliquant la « réinvention d’expériences de consommation uniques, luxueuses et durables pour le marché des parfums de luxe », le changement de matériaux, les produits rechargeables plus respectueux de l’environnement sont-ils plus faciles à proposer en les associant à la notion d’expérience nouvelle ?

ML : Parrainer cette 6ème édition a été un vrai plaisir et un honneur. J’ai choisi en effet de les faire travailler sur une vraie contradiction apparente : comment être à la fois très luxe et vertueux, pionnier en termes de sustainabilité ? L’Enjeu pour l’industrie du luxe est majeur, voire capital.

Je crois que le changement de matériaux, les produits rechargeables plus respectueux de l’environnement sont plus faciles à proposer en les associant à la notion d’expérience nouvelle. D’une part ceux qui sont déjà convaincus et respectueux de l’environnement apprécieront de découvrir des innovations positives, et d’autre part parce que grâce à ces dernières, nous pourrons convaincre les plus « réfractaires » en faisant évoluer positivement leur comportement de consommation vers la protection de notre planète !

Vous êtes très proches de vos fournisseurs que vous impliquez dans le processus de développement produits. A quels critères doivent-ils répondre pour obtenir votre confiance ?

ML : Pour moi la confiance s’inscrit dans la longueur, dans la résilience et la capacité à rebondir, à trouver des solutions ensemble, en toute transparence, pour développer les produits les plus ambitieux et aboutis. Je pense notamment au Groupe Pochet qui a été un partenaire solide de confiance, de la création au lancement du Parfum La Vie est belle de Lancôme. Partant d’un design réputé impossible à faire, ils ont accepté le défi qui aura duré 4 ans et demi avec 27 sections d’essais, trouvant à chaque pas un compromis entre esthétique et technique, générant ainsi 7 brevets pour créer un flacon unique, on time in full, et un parfum encore aujourd’hui dans le top 3 mondial.

The Estée Lauder Companies Inc. s’implique ou devient initiatrice dans la création de nouveaux packagings exempts de matière plastique vierge à l’approche de 2025. Quelles sont ses initiatives ?

ML : Chaque fois qu’il a été ou qu’il est possible de le faire, nous faisons appel systématiquement en PCR, suivant un plan d’action très volontariste que nous ambitionnons de délivrer avant l’échéance fixée.

Nous avons également ouvert nombre de chantiers et de partenariats pour développer de nouvelles matières alternatives aux plastiques comme les « Paper packettes » d’Aveda, les technologies de « Paper pulp » The Ordinary, ou enfin les « cuirs vegan » pour Origin’s.

Chacune de nos marques a pris des engagements particulièrement forts pour être les pionniers dans leurs catégories et régions respectives.

D’une manière plus globale encore, le groupe Estée Lauder Companies Inc. s’engage à tous les niveaux de la chaine de valeur, end to end, considérant la sustainabilite comme un tout essentiel.

Afin de ne pas dissocier l’esthétique qui reflète la qualité premium de vos produits de l’intégration de nouveaux matériaux, avez-vous des sources d’inspiration personnelles puisées dans l’art, la nature… ?

ML : Oui certainement. La nature est bien sûr la première et évidente source d’inspiration, que l’on explore l’immensément grand ou l’infiniment petit.

Les nouvelles technologies sont aussi une source infinie d’inspiration, qu’il s’agisse du domaine de l’espace, de l’industrie automobile de luxe, de la bio science ou de la médecine. A ce sujet, les états unis ont un formidable écosystème de startups et d’universités prestigieuses, pointues comme le MIT, TED, dont nous suivons les évolutions comme celles de tous les pays les plus avancés dans le monde qui concerne les 20 domaines de recherches prioritaires du groupe.

Quel est le plus beau packaging que vous n’ayez jamais vu ?

ML : Difficile question !

Le plus beau est en gestation en ce moment entre les mains des équipes créative design de La Mer, qui fait partie du portefeuille de marques du group ELC ! Sur le marché, je citerai bien évidemment La « Vie est Belle » de Lancôme mais j’avoue que j’aurais adoré dessiner et réaliser « J’Adore » de Dior, ou l iconique ANR serum d’Estee Lauder !

Quelle place tiendront la beauté et le bien-être dans le monde du futur ?

ML : J’ai la profonde conviction que les mondes digitaux, du Metaverse aux X-Verse, vont ouvrir de nouvelles voies et redessiner les contours de la beauté « virtuelle », par avatar interposé ou par réalité augmenté. Je pense qu’ils vont renforcer notre besoin de bien être, de prendre soin de nous, mais aussi des autres, dans le monde réel. On parle déjà de monde Phygital, à la fois physique et digitale. S’il est difficile de prédire comment cela évoluera, je n’ai aucun doute sur le fait que la beauté dans TOUTE sa diversité et le bien-être ont de l’avenir, voire des Avenirs !